Parmi les choses que j’ai toujours aimées dans la vie, parmi les choses qui me réconfortent, il y a : le bruit, la bière, les cigarettes, l’odeur de la bière mélangée à celle des cigarettes, et enfin, celle des filles en sueur. C’est pour cette raison que quand Bobby m’a proposé de prendre la voiture et d’aller Chez Freddy, j’ai pris ma veste et j’ai dit : « ok ». Je rentrais à peine de la gare et avais trouvé la barraque dans un état de délabrement à vous briser le cœur – L’arrivée de mon vieux copain était une bénédiction. Bobby pèse 130 kilogs, porte un bonnet été comme hiver, et il boite – il y a cinq ans, alors qu’il était bûcheron, un tronc lui a broyé un pied, par la faute d’un collègue. Il vit de sa pension, de quelques réparations de voitures au noir. Et c’est mon copain. On a emmené des bières pour le voyage, parce que ça n’était pas la porte à côté, Chez Freddy, et une vieille cassette des Ramones ou de Mott the Hopple, si mes souvenirs sont bons. On était en Août mais il commençait à faire nuit vraiment tôt. C’était un peu déprimant. J’ai toujours dit : « Enlevez moi ma baraque, ma voiture, mon travail, mes putain de vêtements, même, mais pas la lumière, bon dieu, pas la lumière ! ». Les hivers ne sont pas marrants ici. Je l’avais oublié, durant ces longs mois loin de chez moi, mais j’étais de retour et le froid, l’obscurité me sont tombés dessus.

Bobby roulait vite, passant les vitesses et négociant les virages avec virtuosité, malgré son pied mort. Il roulait vraiment bien, la cigarette aux lèvres, une bière entre les jambes, très cool. A croire qu’il n’avait pas un pied valide, mais trois, et trois ou quatre mains pour tout faire en même temps. Bien sûr, la chance jouait énormément, et d’ailleurs elle l’a quitté un an plus tard, quand il s’est encastré dans ce camion, mais j’en ai assez parlé. Ce soir-là la chance était avec nous : personne sur la route, le beau temps, et du fric plein les poches. On s’est garé dans l’herbe. Chez Freddy, c’était le genre de bar où l’on jouait au tiercé, où les match de foot étaient retransmis sur une télé placée juste au-dessus de la porte des chiottes, c’était là où les bûcherons allaient s’abreuver, et les mères seules du coin, se faire payer des verres. Un endroit assez moche, en soi, mais tout le monde devait se dire comme moi que c’était mieux que rien. Quand on est entré il n’y avait pas des masses de monde, et je me suis senti bizarrement soulagé. On s’est installé dans un box, et j’avais le dos au mur, le vent frais de la nuit, maintenant tombée, passait entre les lattes de bois et me léchait les reins. Je serrais un peu les dents. J’étais crevé, sale, de mauvaise humeur et il n’y avait pas la moindre nana dans le bistrot, même pas la vieille blonde tout le temps saoule qui tape des verres à tout le monde d’habitude – son mari avait du finir par la retrouver.

C’est alors qu’elle est entrée. Elle ne devait pas avoir l’âge légal d’être là, ou alors passé de peu, mais elle a marché vers le comptoir comme si elle venait depuis toujours. Deux ou trois types se sont retournés pour la regarder avec des yeux morts de faim.

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