Bobby roulait vite, passant les vitesses et négociant les virages avec virtuosité, malgré son pied mort. Il roulait vraiment bien, la cigarette aux lèvres, une bière entre les jambes, très cool. A croire qu’il n’avait pas un pied valide, mais trois, et trois ou quatre mains pour tout faire en même temps. Bien sûr, la chance jouait énormément, et d’ailleurs elle l’a quitté un an plus tard, quand il s’est encastré dans ce camion, mais j’en ai assez parlé. Ce soir-là la chance était avec nous : personne sur la route, le beau temps, et du fric plein les poches. On s’est garé dans l’herbe. Chez Freddy, c’était le genre de bar où l’on jouait au tiercé, où les match de foot étaient retransmis sur une télé placée juste au-dessus de la porte des chiottes, c’était là où les bûcherons allaient s’abreuver, et les mères seules du coin, se faire payer des verres. Un endroit assez moche, en soi, mais tout le monde devait se dire comme moi que c’était mieux que rien. Quand on est entré il n’y avait pas des masses de monde, et je me suis senti bizarrement soulagé. On s’est installé dans un box, et j’avais le dos au mur, le vent frais de la nuit, maintenant tombée, passait entre les lattes de bois et me léchait les reins. Je serrais un peu les dents. J’étais crevé, sale, de mauvaise humeur et il n’y avait pas la moindre nana dans le bistrot, même pas la vieille blonde tout le temps saoule qui tape des verres à tout le monde d’habitude – son mari avait du finir par la retrouver.
C’est alors qu’elle est entrée. Elle ne devait pas avoir l’âge légal d’être là, ou alors passé de peu, mais elle a marché vers le comptoir comme si elle venait depuis toujours. Deux ou trois types se sont retournés pour la regarder avec des yeux morts de faim.
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