Histoire à quatre mains
Par Xavier et Stéphane
 

(Xavier) Tiens, un bruit de pas précipités dans les escaliers. Des rires essoufflés. Qu’est-ce qui peut bien l’amuser de la sorte ? Je n’ose ouvrir pour aller voir. Depuis que Michelle est arrivée je me sens mieux. Elle a apportée un peu de vie dans la maison.
(Stéphane) Il faut dire qu'il suffisait de peu : le silence qui y régnait en permanence depuis le décès de la vieille semblait avoir gelé toutes choses et comme dressé des barrières invisibles et gluantes entre les habitants de l'immeuble — moi même, depuis cette nuit fatale, je n'avais plus cet entrain habituel qui m'avait valu, par le passé, l'affection de tous les pensionnaires de la vieille. (Xavier) Maintenant, il y a enfin un peu de gaieté et de jeunesse dans cette sinistre bâtisse. Sa présence a chassé les fantômes et les vieilles peurs qui tourmentaient mon esprit depuis le décès tragique de Louise. Je redoutais la tombée de la nuit. Je sursautais a chaque bruit, effrayé. Le rituel quotidien du coucher, la montée des escaliers, la traversée du couloir vers ma chambre, tout cela me rappelle trop vivement cette nuit terrible. Et particulièrement les ténèbres qui règnent au fond du couloir non éclairé. Il m'avait semblé y voir bouger quelque chose cette nuit là. Réprimant un frisson je m'étais empressé de rentrer dans ma chambre pensant alors que j'était encore victime de mon imagination. Je ne me doutait pas que quelqu'un ou quelque chose de mauvais se tenait tapi là.

(Stéphane) Je me souviens de ces crises de peur qui me paralysaient parfois, lors de la Guerre, lorsque j'étais pensionnaire dans une de ces bicoques au vieux Port. Je passais des nuits entières dans des "bars à pirates", comme les appelaient mes camarades, à me saouler en écoutant des histoires de navires, de conquêtes, de femmes et de trésors, et, confortablement installé à côté du poêle, entre deux joyeux compagnons, je me sentais invincible, en sécurité — d'autant plus forte était alors la terreur qui me saisissait aussitôt sorti de ces bouges, dans la froideur des rues du vieux Port. Une frayeur inexplicable, viscérale, à côté de laquelle l'anxiété saine et toute naturelle ressentie au front paraissait bien anodine. C'était le sentiment d'un danger imminent, invisible, qui paralysait mon âme et me jetait dans des transes que seul l'alcool de mes camarade pouvait guérir, par l'abrutissement. Peut-être après tout n'était-ce, après la gaieté et la chaleur des bars, que la triste décrépitude des rues du Vieux port qui me plongeait dans ces méditations morbides où le sentiment de la fatalité, de la fin inexorable de toutes choses, et notamment de ma propre existence, s'imposait à moi avec brutalité.
En tous cas c'est le même sentiment qui m'avait envahi lors de cette nuit fatale, et auquel je n'avais pas voulu prêter attention.
(Xavier) Cette peur autrefois si familière ne se manifeste plus, du moins pour l'instant. J'espère que cet état des choses ne changera pas. En revanche je me pose sans cesse la même question. Qu'y a-t-il chez cette jeune femme qui me permette d'oublier ?  J'ai l'étrange sentiment de la connaître, et ce dès la première seconde où j'ai posé les yeux sur elle. Ainsi  lorsque je la regarde il m'arrive d'avoir de brèves visions, de vives lumières pareilles à des flashs au (composition des flashs photos de l'époque) éclatants dans ma tête. Tout n'est alors que rire musique et gaieté et  je distingue son visage rayonnant, illuminé de soleil, elle me regarde les yeux pétillants et nous tournoyons ensembles, ses longs cheveux roux flottant au vent. Ces visions me laissent toujours dans un état de confusion mentale commençant à me gêner quelque peu en raison de leur fréquence. Je cherche à me remémorer l'origine de pareils souvenirs mais je n'y parvient jamais ce qui me frustre énormément. Tout cela est vraiment étrange car nulle par dans mon passé il n'y a de place  pour une jolie jeune femme rousse me regardant amoureusement . Michelle il me semble te connaître  mais j'appréhende encore les moments où le hasard peut te placer sur mon chemin dans l'immeuble et m'oblige alors à échanger quelques banalités avec toi . Moi qui de plus déteste cela. Que m'arrive-t-il ? je n'ai jamais rencontrer ce genre de problème relationnel auparavant et pourtant j'ai connue beaucoup de femmes dans ma vie