Le Châlet
Il y en a pas mal, au Champ du Feu, à vrai dire il y en a même toute une rue - LA longue rue qui est le Champ du Feu - mais celui des Vosges Trotters Strasbourg , qui n'est pas le plus luxueux, le plus grand ni le plus fréquenté, sera toujours pour moi "Le Châlet". Un vieux truc dans un no man's land qui n'intéresse plus personne, mais qui sans doute plus que toute autre chose, que tout autre endroit, a fait de moi ce que je suis.
Pas d'intérêt pour la Nature, les époques reculées, pas de goût des retraites solitaires, les vieilles maisons poussiéreuses, le rustique et le "paysan", pas de fierté "identitaire", pas de... inutile de faire une liste de tout ce qui compose ma personnalité et ma vie, au fond. Pas de Stéphane, tout simplement.
C'est au Châlet que j'ai commencé à écouter des groupes de rock, de heavy, de punk, etc ... Iron Maiden, Gogol Ier ... et plus tard, Mortiis et tous ces machins "médiévaux" de la scène BM. Et quand j'y repense, je m'imagine toujours les écoutant là-bas, sur mon vieux walkman, assis sur le rebord d'une fenêtre ou dans le "bar", cette pièce qui aujourd'hui ne sert plus qu'à entreposer quelques affaires et se retirer au calme, et où quand j'étais gosse, on déposait ses chaussures et combinaisons de skis. Le Châlet n'avait pas encore été refait à neuf, à l'époque, il était vieux, froid et sombre, et quand je n'y étais pas je rêvais souvent de ses couloirs, mais sans personne que moi pour y déambuler.
Dans mes rêves et mon imagination, le Châlet devenait LE lieu de ma vie, d'histoires multiples, à toutes les époques, sa configuration changeant subtilement dans chaque rêverie, pour ressembler à d'autres lieux réels, ou inversement, dès endroits de ma vie quotidienne devenaient des avatars du Châlet. Les romans que je lisais avaient souvent le Châlet pour cadre. Les histoires que j'écrivais, encore plus souvent.
Et à chaque fois que je croyais l'avoir oublié, évacué de ma vie, voire "renié" comme une vieille obsession fatiguante, le Châlet resurgissait regénéré, collant à mes nouvelles lubies, s'adaptant à elles pour en faire partie. Après la période médiévale-identitaire, le Châlet peint par Hopper, le Châlet habité par des rednecks américains, et dans 10 ans, quoi d'autre ?
C'est à cause de cet endroit que je me suis mis à penser que ce sont les maisons qui hantent les esprits, et non pas l'inverse.
Il y a toute une mythologie, au Champ du Feu, qui donnait son charme "médiéval" à l'endroit, entretenu par à vrai dire tout le reste de l'Alsace, les villages environnants et leur architecture... Là, le Rocher de la Princesse Emma, la Cascade la Serva... le châlet Aurora, juste derrière celui des Vosges Trotters... autant de noms qui ont fait travailler mon imagination, enfant. Sur lesquels se sont greffés des histoires, des images, sur lequelles s'en sont encore greffées d'autres, sans fin. Et aujourd'hui, le Châlet vit la plus grande partie de son existence, dans ma tête ; car je n'y vais plus des masses. L'endroit est devenu sinistre. Au Champ du Feu, de nombreux loueurs de skis et l'un des deux hôtels / bistrots (le plus grand, en l'occurence, juste à côté des pistes) a fermé, et c'est le spectacle de sa ruine - puisqu'on le laisse lentement pourrir au milieu du Champ du Feu - ne m'inspire rien (moi qui d'habitude aime ça). Des propriétaires ont racheté la plupart des terres et des chevaux paissent dans l'herbe, toute l'année, des clotures électriques empêchant de sortir des sentiers pour se promener là où on pouvait aller librement il y a dix ans.
Le Châlet lui-même est mort. Je me souviens l'avoir vu plein, enfant. Tous les lits occupés. Toutes les tables. Je me souviens de barbecues gigantesques dans l'herbe, devant le Châlet, en été, et de vértitables expéditions vers les pistes de ski en Hiver. Le Châlet était d'ailleurs au centre de la vie sportive locale, puisqu'il organisait des compétitions et fournissait des champions - ce qui n'a rien de choquant quand on sait que les Vosges Trotters Strasbourg sont avant tout une assoce sportive, et que l'évolution "vacances" du truc s'est faite au détriment des compètes, et donc, de fil en aiguille, de la vie économique et "médiatique" du Champ du Feu. Le paradis ne pouvait pas durer bien longtemps.