D’aussi loin que je me souvienne, l’alcool m’a accompagné, et je lui dois tout. L’odeur entêtante du Ricard, avec les cacahuètes, dans l’appartement des voisins de paliers, dans mes premières années (l’odeur de la sueur de Freddy imprégnant le tout). La bière, au Châlet, après les chaudes journées de travail, de ballades ou de siestes dans l’herbe ; et le schnaps du soir, les râdoteries des plus âgés, confits dans leur alcools et leurs rancoeurs. J’ai un jour éclusé quelques verres de champagne, en douce, alors que mes parents raccompagnaient des invités, il y a si longtemps que je ne m’en souviens plus – et ce fut le début de ma longue carrière.
J’ai commencé à boire réellement à l’adolescence,
dans les champs à la sortie de la ville. L’odeur des branchages
qu’on brûle, le ciel implacablement bleu, et la bière Fuscher
achetée 9 francs et quelques à l’épicerie Stenger,
une seule bouteille et nous voilà, mes jeunes compagnons de beuveries
clandestines et moi, à peine capables de rentrer chez moi, pour
dévaliser le frigo pendant que ma mère travaillait à
la cave ou au jardin.
Le cidre, seul, dans les champs, bouteille d’un litre et demi posée
entre mes jambes repliées en tailleur, dos à un arbre, l’abrutissement
accentué par la chaleur – je n’étais pas loin de l’extase
mystique, à regarder les fourmis s’affairer autour de la souche
immobile et indifférente que je me sentais devenir.
Le Ricklès : 80 degrés, presque une bouteille complète, dans ma chambre. Sensation très particulière d’être paralysé, couché sur le lit.
Le Schnaps, que Xavier prélevait dans l’armoire familiale et planquait dans son sac, transvasé dans une bouteille de Fischer qu’il faisait tourner lors de la récréation, avant d’aller en course d’orientation dans la forêt.
Avec Xavier toujours, au « Cercle » - une tour médiévale en ruine à quelques rues du lycée, sur un grand parc surplombant la ville, habituellement repaire de clodos. Bière, rosé à 12 francs avec une languette métallique à la place du bouchon, Soho. En général je ne me rappellais pas comment j’étais rentré chez moi.
Nuits blanches, dans ma cave. Bourbon planqué dans un sachet.
Nous sortions en général dans la nuit, acheter en Allemagne
dans une station service à 100 mètres de la douane, des boîtes
de Bitburger ou de Four Roses – Coca. Nous les éclusions chez moi,
où si l’on ne pouvait pas attendre, dans un square deux rues plus
loin – moi sur la balançoire, Franck sur le toboggan, ou l’inverse.
Il y a un dieu pour les alcooliques : un soir nous trouvâmes,
en rentrant dépités d’être arrivés à
la station après sa fermeture, deux boîtes de Bitburger intactes,
dans le caniveau.
Goûts de luxe : Sauterne bu dans des gobelets en plastique, dans une ruelle entre deux jardins, le grondement sourd des voitures sur la Nationale juste à côté, la chaleur, la bouche pâteuse. Je n’ai jamais pu en reboire.
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